DISTRIBUTEUR DE LAIT : LA REUSSITE N'EST PAS AUTOMATIQUE
L'engouement de 2009-2010, dans la foulée de la crise du prix du lait, est retombé. Vendre du lait cru ne s'improvise pas.
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Le nombre de fontaines à lait d'occasion actuellement disponibles sur le marché témoigne des problèmes rencontrés par de nombreux investisseurs. Le 20 juin dernier, onze machines étaient ainsi proposées sur un site spécialisé à des tarifs très inférieurs à leur prix initial. Parmi elles, celle du Gaec de la Ferme du château, à Montagny-les-Lanches (Haute-Savoie). « Notre distributeur de lait est en vente depuis août 2010, précise Jean-Baptiste Viret, l'un des deux associés. Il n'a fonctionné que dix-huit mois. Nous avons arrêté l'activité de vente de lait directe pour des raisons d'organisation et de temps de travail. »
«LA COMMUNICATION EST SUPER IMPORTANTE »
Le cas de ces éleveurs savoyards n'est pas unique. Michel Besnard, importateur de la marque Lazzaroni et premier à développer le marché français, dresse le bilan de son activité : « Sur les 127 distributeurs que j'ai vendus et qui sont en service, 30 fonctionnent très bien : ils écoulent entre 80 et 120 l/j. 30 autres ne font pas l'objet de plainte. Pour le reste, le bilan est jugé insatisfaisant. »
Outre la pertinence de l'emplacement, le temps à consacrer à la machine semble constituer l'une des clés de la réussite ou de l'échec de l'investissement. « Nous avons trop mis l'accent sur le libre-service, et pas assez sur la communication et l'action commerciale, reconnaît Michel Besnard. Les consommateurs sont demandeurs d'explications et de lien direct avec les producteurs. Venir approvisionner chaque matin la machine ne suffit pas. Il faudrait consacrer un à deux jours par semaine aux relations avec les clients. Or, souvent, après une inauguration médiatisée, la communication devient inexistante. Du coup, la praticité de la brique à lait UHT reprend le dessus sur le goût et la qualité du lait cru. Gérer un distributeur, c'est un travail de commerçant pour lequel il faut avoir le goût et le profil. »
« La communication est super-importante, estime également Nicolas Perrin, associé du Gaec Les Treize Fontaines, en Isère, et propriétaire de deux distributeurs. « Ce n'est pas pour rien que les supermarchés font de la publicité toutes les semaines. » Même si, actuellement, les ventes directes de lait sont bien en deçà des attentes initiales du Gaec (45 et 25 litres par jour en moyenne pour chacune des deux machines, au lieu des 80 litres escomptés), Nicolas ne dresse pas un bilan négatif de son investissement. « La clientèle démarchée avec les distributeurs nous permet de développer plus rapidement les activités de diversification de notre exploitation, c'est-à-dire la transformation et la vente directe de produits de la ferme. »
Le distributeur attire une clientèle pour les noix, l'huile, les cerneaux caramélisés et salés que la femme de Nicolas, Audrey, entend bien développer parallèlement à son projet de ferme pédagogique. Située dans un secteur périurbain, l'exploitation est déjà connue du grand public. Des animations y sont organisées : ferme ouverte « clé des champs » le premier week-end du mois de mai, marché de Noël… Elles drainent des centaines de personnes à chaque fois.
Ayant investi parmi les premiers, les agriculteurs de Brézins ont eu la chance de bénéficier de subventions conséquentes* (40 000 € sur les 100 000 € d'investissement pour les deux machines). « Cette aide financière nous permet d'être rentables malgré la modicité des volumes de lait commercialisés. D'ici à deux ans, le premier distributeur sera fini de payer. Il a juste fallu faire l'avance de trésorerie. Nous venons seulement de toucher les subventions octroyées par le Feader(1), la région et le département dans le cadre du dispositif entreprises locales innovantes. » Le Gaec des Treize Fontaines, à Brézins, est le premier en Isère à avoir investi dans un distributeur. « Outre la motivation liée à la nouveauté, l'envie d'assurer une meilleure valorisation à une partie de notre production nous intéressait », explique Nicolas Perrin, l'un des deux associés (60 montbéliardes à 8 300 kg sur 200 ha, dont 50 ha de prairies). L'engouement enregistré en mars 2010 lors de l'implantation du premier distributeur, près du Super U de Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs, avait amené Nicolas et Noël à investir dans une seconde machine. Celle-ci a été implantée 15 km plus loin, au Super U de Colombe il y a un an. Les éleveurs alimentent également un magasin de producteurs sur la même commune.
« NOUS AVIONS ORGANISÉ DE NOMBREUSES ANIMATIONS »
« Pour accompagner l'installation du premier distributeur, nous avions organisé de nombreuses animations, se souvient Nicolas. Les visites à la ferme et les tombolas avec des yaourtières à gagner avaient connu un vif succès. Pour le second, nous avons été moins actifs. » Installé dans l'enceinte d'une grande surface en cours d'extension, le distributeur de Colombe souffre d'un contexte très défavorable. « L'entrée du magasin a été déplacée à plusieurs reprises, nos clients sont perdus. » Pour soutenir l'activité de la fontaine pendant cette période difficile, les éleveurs ont baissé le prix du lait de moitié. Mais pour l'instant, cette action n'a pas eu d'impact sur le volume vendu. Alors que Nicolas ne réinvestirait sans doute pas aujourd'hui dans ses distributeurs de lait, il estime que l'investissement doit être replacé dans le contexte global de l'exploitation. « Les veaux de lait sont nourris avec les invendus du distributeur. Et le travail lié à la gestion des distributeurs est désormais pris en charge par Audrey. » Professionnelle du tourisme, la jeune mère de deux enfants a choisi de s'investir récemment sur l'exploitation. Elle consacre une heure et demie par jour à l'approvisionnement des deux distributeurs, y compris le dimanche. Distants de 15 km, ils sont sur le même axe. « J'emmène le lait frais vers 9 h, précise Audrey. C'est le moment où je peux rencontrer les clients et discuter avec eux. » Pour réduire la pénibilité liée à la manutention des deux boules isothermes (300 l chacune), un transpalette électrique a été acheté (5 000 €). Le Gaec n'a pas eu à prendre en charge les frais générés par l'aménagement des plateformes sur lesquelles sont installés les distributeurs. Super U s'en est chargé. « L'électricité est payée par la grande surface. Nos coûts de fonctionnement se limitent au gasoil de la camionnette que nous possédions déjà. »
ANNE BRÉHIER
* Feader : Fonds européen agricole pour le développement rural.
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